Jeudi 11 mai 2023

Points experts

Le marché de l'automobile, reflet de la situation de l'économie mondiale

La voiture est l’un des symboles de la civilisation moderne. Certains lui vouent un culte et d’autres essaient de s’en passer, voire la détestent mais l’état du marché automobile est un véritable reflet de la situation de l’économie mondiale.

Tout le monde en a entendu parler : la production automobile a été extrêmement perturbée depuis le début de la crise covid, en large part à cause des problèmes d’approvisionnement en composants et plus particulièrement en semi-conducteurs. Il y a certes eu un peu d’amélioration sur les derniers mois mais les délais d’approvisionnement en semiconducteurs restent historiquement élevés et la production de voitures reste donc très affaiblie par rapport à la normale.

Si on prend le cas du Royaume-Uni, la production de voitures sur l’année 2022 était la plus faible depuis 1956 ! Mais même dans un pays comme l’Allemagne, le choc est rude puisque la production de voitures en 2022 a été 26% plus faible que sur l’année 2019, qui constitue un point de comparaison intéressant car il s’agit de la dernière année pleine avant la crise covid. Aux États-Unis, il y a eu un peu de mieux concernant la production automobile en 2022 mais celle-ci est repartie à la baisse sur la toute fin 2022 et au début de l’année 2023.

Deux points sont à souligner ici :

  • D’abord, on voit bien que l’industrie des semiconducteurs est absolument cruciale pour l’économie et que la question de la souveraineté industrielle passe par là,
  • Ensuite, on voit bien que l’industrie automobile, qui pèse lourd dans l’économie mondiale, souffre encore des pénuries de composants et on peut penser que la réouverture de l’économie chinoise pourrait améliorer les choses en 2023.

Le deuxième point que l’on pourrait aborder sur les liens entre les voitures et l’économie est celui de l’inflation. Avec la forte baisse de la production que l’on vient d’évoquer, on a assisté assez logiquement à une forte hausse du prix des voitures. Si on regarde l’indice JD Power qui suit le prix des véhicules neufs aux États-Unis, le prix moyen était d’un peu plus de 46000 $ en janvier 2023, contre un peu moins de 35000 $ à la fin de l’année 2019, soit une augmentation de 34 % sur la période. La hausse des prix ne touche pas que les véhicules neufs puisque la raréfaction des véhicules neufs a entraîné une raréfaction des véhicules d’occasion … et là aussi, les prix se sont envolés, le prix des véhicules d’occasion aux États-Unis a augmenté de plus de 20 % depuis décembre 2019. Et l’impact sur l’inflation ne s’arrête pas là car la hausse du prix des voitures a provoqué une hausse du prix des assurances auto, des opérations de réparation et de maintenance et des locations de voitures. C’est désormais un facteur incontournable à prendre en compte pour les banques centrales lorsqu’elles évaluent les trajectoires d’inflation. Cette évolution des prix creuse les inégalités puisque la mensualité moyenne pour acheter une voiture neuve frôle désormais les 800 $ aux États-Unis alors qu’elle était inférieure de moitié à la fin de l’année 2019. D’ailleurs, les incidents de paiement sur les prêts auto subprime viennent d’atteindre leurs plus hauts niveaux depuis 2006 quand on regarde les données de Moody’s.

Enfin, bien évidemment, il faut aussi parler de la généralisation extrêmement rapide des véhicules électriques, qui font partie intégrante de la stratégie des États pour décarboner l’économie (il n’est pas inutile de rappeler que le transport routier représente 16 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial). Les gouvernements cherchent de plus en plus à favoriser le développement des véhicules électriques, par exemple via des subventions : dans le cadre de l’Inflation Reduction Act adopté l’été dernier aux États-Unis, les subventions peuvent aller jusqu’à 7500 $ pour un véhicule électrique neuf et 4000 $ pour un véhicule électrique d’occasion. Les choses vont très vite : en 2021, la part des véhicules électriques dans les ventes de voitures au niveau mondial était de 8,6 % alors qu’elle n’était par exemple que de 0,7 % en 2015. Selon l’Agence internationale  de l’énergie (AIE), cette part devrait être supérieure à 20 % en 2030 étant donné les mesures qui ont déjà été annoncées et pourrait même atteindre 35 % si les États tiennent leurs engagements. Il y a donc une accélération réelle de l’industrie des véhicules électriques. Malheureusement, cela exacerbe certains des problèmes que l’on a cités précédemment puisqu’il faut beaucoup plus de semi-conducteurs dans les véhicules électriques que dans les véhicules thermiques et car les véhicules électriques coutent plus cher. L’AIE estime que pour un véhicule de taille moyenne, une voiture électrique coute en moyenne 10000 dollars de plus qu’une voiture thermique équivalente, avant subventions et avantages fiscaux. Cet écart de prix est plus faible en Chine car les véhicules y sont plus petits et car la compétition entre producteurs est plus forte.

En bref, l’industrie automobile, qui faisait moins parler d’elle avant la crise covid, occupe désormais une place centrale dans plusieurs mégatendances (c’est très clair dans le cas de l’électrification et de la décarbonation) mais aussi dans l’évolution de l’inflation elle-même et par ricochet dans les politiques des banques centrales.

Retrouvez ci-dessous l'article dans son intégralité.

Bastien Drut, Responsable de la Macro Stratégie Thématique

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