Mercredi 15 mars 2023

Points experts

Développement Durable - Repenser nos modes de production et de consommation

LA QUESTION DE L’ÉPUISEMENT DES RESSOURCES N’A MALHEUREUSEMENT, RIEN DE NOUVEAU

Le rapport Meadows, commandé par le club de Rome, qui alertait sur le fait que le caractère fini des ressources créait des limites pour la croissance économique, a été publié il y a plus d’un demi-siècle , en 1972. Quelques années auparavant encore, en 1966 , l’économiste Kenneth Boulding écrivait qu’il fallait s’éloigner de « l’économie du cowboy », dans laquelle le fait que les frontières soient sans cesse repoussées impliquait qu’il n’y avait pas de limites à la consommation de ressources et à la production de déchets. IL fallait au contraire s’approcher de « l’économie du vaisseau spatial », où tout est pensé pour être recyclé encore et encore. Dans cette « économie du vaisseau spatial », la terre est conçue comme un vaisseau où les ressources ne sont pas infinies et dans lequel l’homme doit sans cesse travailler à la réutilisation des matières premières.

SORTIR DE L’ÉCONOMIE LINÉAIRE QUI ÉPUISE NOS RESSOURCES

Dans une économie circulaire, les produits sont conçus pour être facilement recyclés, réutilisés, démontés et reconditionnés. Il s’agit donc d’abandonner le plus rapidement possible le modèle linéaire traditionnel : « extraire, fabriquer, consommer, jeter ». Plus généralement, l’économie circulaire a pour objectif de parvenir à un découplage de l’activité économique de l’utilisation d’énergie et des différentes ressources. En d’autres termes il s’agit d’atteindre une croissance de l’activité économique sans augmentation de l’utilisation d’énergie et de ressources. Un objectif corollaire est de minimiser le volume de déchets et la pollution générés par les processus de production et de consommation. Cela suppose de réfléchir à la totalité du cycle de vie d’un produit : conception, acquisition et transformation des ressources nécessaires à la fabrication, emballage, distribution, stockage, transport, consommation. Mais aussi la gestion post-consommation incluant la collecte, la réparation, le recyclage et mise en décharge).

Trois pistes sont donc possibles :

  • Rendre l’énergie de plus en plus renouvelable,
  • Utiliser l’énergie de façon de plus en plus efficiente,
  • Devenir de plus en plus efficient dans l’utilisation des matériaux mais aussi de l’eau.

Cela peut se matérialiser de différentes manières. On peut augmenter la durée de vie des produits, réduire ou supprimer les emballages, en favoriser la réutilisation, en recyclant au maximum les ressources une fois les produits consommés. On peut aussi tout simplement veiller à utiliser uniquement des matériaux qui sont réellement nécessaires. Dans ce cadre, une solution est de changer les habitudes de consommation, c’est-à-dire par exemple de développer l’économie du partage ou de consommer plus localement.

L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE S’INVITE DANS LES AGENDAS POLITIQUES

Certes, le concept d’économie circulaire a d’abord été poussé par des militants écologistes (on peut notamment penser à la fondation Ellen MacArthur qui a été précurseur sur ce sujet) mais il se diffuse de plus en plus largement dans la société et notamment auprès des autorités politiques.

En effet, dans le cadre de son Pacte vert, la Commission européenne a présenté en mars 2020 un plan d’action pour une économie circulaire, qui contenait 35 actions clés, comme par exemple l’instauration d’un nouveau droit à la réparation, des exigences relatives à la teneur en matières plastiques recyclées, des mesures de réduction des déchets plastiques ou encore l’établissement d’une stratégie de l’UE sur les textiles. En mars 2022, la Commission européenne a ainsi dévoilé une série de propositions pour « faire des produits durables la norme ».

De nouvelles exigences portent sur la conception des produits. Il s’agit de les rendre plus durables, fiables, réutilisables, évolutifs, réparables, faciles à entretenir, à rénover et à recycler. Tous les produits disposeraient de passeports numériques pour faciliter la réparation ou le recyclage. Cette proposition viserait également à mettre un terme à la destruction des biens invendus. Pour lutter contre la mode éphémère L’industrie du textile est également appelée à adopter des pratiques durables et à respecter pleinement les droits sociaux. Les mesures proposées prévoient des exigences d’écoconception, une information plus claire, un passeport numérique des produits et un régime obligatoire de responsabilité élargie des producteurs. Enfin, de nouvelles exigences permettront de garantir que la conception et la fabrication des produits de construction reposent sur des techniques de pointe, de façon à rendre ces produits plus durables, réparables, recyclables et faciles à remanufacturer.

Par ailleurs, en novembre 2022, la Commission européenne a proposé une révision de la législation européenne sur les emballages : empêcher la génération de déchets d’emballages, améliorer la qualité du recyclage et rendre recyclables 100 % des emballages dans l’UE d’ici 2030, réduire les besoins en ressources naturelles primaires et favoriser la réutilisation via le recyclage.

L’un des objectifs concrets est de réduire de 15 % les déchets d’emballages par habitant d’ici 2040, à la fois grâce à la réutilisation et au recyclage. Une réduction globale des déchets dans l’UE d’environ 37 % serait alors possible, par rapport à un scénario sans modification de la législation. Si toutes ces mesures doivent encore être étudiées par les gouvernements et par le Parlement européen dans le cadre de la procédure législative habituelle, il est très vraisemblable que des avancées significatives soient réalisées dans les années qui arrivent. Mais il n’y a pas que l’Europe. La Chine par exemple a inscrit comme priorité un certain nombre de mesures explicitement liées à l’économie circulaire dans son plan quinquennal 2021-2025, avec des mesures destinées à améliorer l’efficacité énergétique ou encore augmenter le taux de recyclage.

INNOVATION, EFFICACITÉ INDUSTRIELLE OU NOUVELLES TENDANCES DE CONSOMMATION : UN GISEMENT D’OPPORTUNITÉS.

La nécessité de passer d’une économie linéaire à une économie circulaire crée de multiples opportunités d’investissement tout au long du cycle de vie d’un produit, qui va des ressources de base à la gestion des déchets en passant par la production industrielle et la consommation.

Les opportunités de croissance dans les ressources circulaires sont importantes comme par exemple les énergies renouvelables, la chimie verte et sa production de bioplastiques ainsi que les biomatériaux, notamment la filière forêt, bois et papier.

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit que la croissance de l’énergie solaire et de l’éolien va rester très forte et même accélérer dans les années qui arrivent. De récentes innovations renforcent la compétitivité de l’énergie circulaire. Les trackers ou suiveurs solaires permettent par exemple de modifier l’orientation et l’inclinaison des panneaux solaires. Un logiciel utilise les données météorologiques et de production d’énergie historiques spécifiques au site pour identifier la position d’un panneau solaire en temps réel afin d’améliorer sa production d’énergie. On peut ainsi obtenir une augmentation du rendement énergétique d’environ 25 %.

Le secteur de la chimie verte devrait aussi connaître une accélération en termes de production de bioplastiques. Ils devraient être produits à partir d’une matière première renouvelable et/ou être biodégradable (le sucre ou l’amidon), l’idéal d’un point de vue environnemental étant de combiner les deux.

Les entreprises offrant des gains d’efficacité industrielle, des emballages durables, des véhicules et équipements électriques seront les gagnants du basculement vers une industrie circulaire. L’agriculture de précision en est un bon exemple. Ces dernières années, les producteurs de machines agricoles ont développé de nouveaux équipements et logiciels pour améliorer les rendements tout en utilisant moins d’intrants chimiques comme les herbicides ou les engrais. La pulvérisation de précision utilise des capteurs qui indiquent où l’utilisation d’herbicides est nécessaire, au lieu de pratiquer une pulvérisation sur l’ensemble d’un champ. Avec la plantation de précision, les agriculteurs peuvent optimiser la profondeur à laquelle les semences sont plantées pour maximiser les rendements.

Enfin, la consommation propose un gisement d’opportunités d’investissement. Elle représente près de 2/3 du PIB dans les marchés développés dans un contexte où les consommateurs sont de plus en plus en demande de produits durables. Les entreprises de biens et services de consommation ayant les meilleures pratiques en termes d’écodesign, de recyclage et d’engagement environnemental gagneront des parts de marché. De nouvelles tendances de consommation sont en plein essor. Si l’alimentation durable fait partie des solutions pour la transition vers une économie circulaire, l’économie du partage et les plateformes d’échanges représentent une véritable révolution dans le sens même de la propriété des biens.

Selon la Banque Mondiale, la génération de déchets devrait augmenter de 68 % d’ici 2050 par rapport à 2016 . La valorisation des ressources, à la fin du cycle de vie d’un produit, est donc essentielle à une économie circulaire et devrait soutenir une forte demande pour les entreprises de traitement et de recyclage des déchets et de l’eau.

La rareté de l’eau s’avère être un problème majeur. Les Nations Unies estiment que 2,3 milliards de personnes vivent dans des pays subissant des pénuries d’eau. Les sociétés de traitement et de recyclage des déchets et de l’eau ont donc un rôle clé dans une économie circulaire. L’Allemagne, la Suède et la Norvège ainsi que certains états américains et australiens mettent déjà en place un système de consigne des bouteilles en plastique pour améliorer leur recyclage. La collecte de ces bouteilles peut se faire par des distributeurs automatiques « inversés », placés dans les supermarchés par exemple. La machine va trier les différents types de bouteilles, les compacter et les stocker. Ce type de programme permet d’augmenter fortement le taux de recyclage. Le marché des distributeurs automatiques inversés devrait connaître un fort développement dans les années à venir.

En conclusion, il apparaît impératif de repenser nos modes de production et de consommation afin de mieux gérer les ressources et d’aller vers plus de souveraineté. C’est l’une des grandes leçons de la crise covid et de la guerre en Ukraine, qui ont déstabilisé de nombreuses chaînes d’approvisionnement et déclenché des pénuries en tout genre. Une économie circulaire et plus locale est le gage d’une meilleure résilience des chaînes de production. L’économie circulaire est en train de s’inviter dans les agendas politiques, en particulier en Europe. Une bonne nouvelle.

Retrouvez ci-dessous l'article dans son intégralité.

Bastien Drut, Responsable des Etudes et de la Stratégie et Stéphane Soussan, Gérant Actions Thématiques

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