Mardi 10 janvier 2023

Points experts

Conjoncture - Quelles perspectives pour 2023

UNE ANNÉE 2022 MARQUÉE PAR UNE INFLATION ÉLEVÉE

L’année 2022 a été extraordinaire par bien des aspects mais elle s’est surtout distinguée par la résurgence de l’inflation élevée, qui n’avait plus été observée dans ces proportions depuis le début des années 1980. Cette accélération de l’inflation (qui a même dépassé 10 % en zone euro) s’explique par une conjonction de facteurs :

  • La crise énergétique, qui avait commencé à l’été 2021, a été exacerbée par la guerre en Ukraine. Les prix du gaz naturel et de l’électricité en Europe ont été multipliés par 5, 6 ou 7 fois par rapport à la moyenne des 20 dernières années.
  • Les tensions sur le marché du travail ont perduré, à cause du phénomène de « grande démission » mais aussi de l’accélération de la baisse de la population en âge de travailler dans certaines zones.
  • Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement (pénurie de semi-conducteurs perturbant la production automobile, encombrement du transport maritime).

Cette accélération spectaculaire a amené un durcissement non moins spectaculaire de la politique monétaire de la Fed et de la BCE en 2022 (respectivement +425 pbs et +250 pbs de hausse de taux directeurs sur l’année), qui a lourdement pesé sur les marchés obligataires et sur les marchés actions.

LES CONSÉQUENCES EN 2023 DU RESSERREMENT MONÉTAIRE DE 2022

A l’exception notable de la Banque du Japon, les banques centrales des pays développés ont entrepris un durcissement significatif de leur politique monétaire, or les banquiers centraux rappellent régulièrement que cette dernière produit ses effets sur l’économie avec retard (selon le modèle FRB de la Fed, l’effet maximal d’une hausse de taux directeur sur le PIB intervient avec 4 ou 5 trimestres de retard). En réalité, la plus grande partie de l’effet du resserrement monétaire de 2022 se fera sentir en 2023. Cet effet pourrait être amplifié par le fait que les banques centrales ont agi de manière coordonnée. L’un des marchés qui va subir le plus rapidement et le plus fortement l’effet du resserrement monétaire est le marché immobilier. Aux États-Unis, le nombre de transactions et le nombre de demandes de crédits immobiliers se sont littéralement effondrés… et les prix ont commencé à baisser. Le même type de tendances a été observé dans certains pays de la zone euro (Allemagne), en Suède, en Australie ou encore en Nouvelle-Zélande. Les taux directeurs devant probablement rester élevés en 2023, cette tendance négative sur les marchés immobiliers (faibles transactions, baisse des prix) devrait se prolonger. Cela donnera probablement naissance à des « effets richesse » car l’essentiel du patrimoine d’une grande partie de la population est un patrimoine immobilier.

LA CRISE ÉNERGÉTIQUE NE DISPARAÎTRA PAS EN 2023

La plupart des causes de la crise énergétique entamée en 2021 et accentuée en 2022 par la guerre en Ukraine ne vont pas disparaitre à court terme et il est probable que les tensions sur les prix de l’énergie perdurent sur les prochaines années.

Tout d’abord, la plupart des grands pays développés se sont engagés dans une transition énergétique qui implique de sortir progressivement des énergies fossiles et d’augmenter la part des énergies renouvelables (ENR) ou du nucléaire. Cela s’est traduit dans un 1er temps par une baisse de la consommation de charbon au profit du gaz. Le rythme de progression des ENR n’a pas été aussi rapide que prévu du fait d’un manque d’investissement et de la longueur des procédures d’autorisation des nouveaux projets. Par ailleurs, le nucléaire fait également face à des problèmes de maintenance comme c’est le cas en France et les nouveaux projets d’EPR mettent beaucoup plus de temps à être finalisés que prévu. Enfin, les conditions météorologiques extrêmes (chaleur, sécheresses, inondations, manque de vent…) rendent la production d’ENR moins prévisible.

Tous ces éléments expliquent que l’offre d’énergie est aujourd’hui très contrainte alors que la demande ne baisse pas nécessairement aussi rapidement que souhaité. A cela, il faut rajouter le facteur géopolitique qui joue un rôle important dans la formation des prix de l’énergie. La guerre en Ukraine s’installe dans la durée et la très forte baisse des approvisionnements en gaz et en pétrole russes depuis le début d’année va perdurer et constitue un facteur supplémentaire de tensions sur les prix de l’énergie. Il est vraisemblable que pour les zones importatrices d’énergie comme l’Asie et l’Europe et notamment celles qui appliquent les sanctions contre la Russie, il faudra composer avec des prix de l’énergie durablement plus élevés que ce qui a été observé depuis de nombreuses années.

LA REPRISE EUROPÉENNE EN 2022, PERCUTÉE PAR LA GUERRE EN UKRAINE

Après une forte croissance en 2021, +5,2 %, grâce à la réouverture des économies et une campagne de vaccination réussie, l’économie européenne devrait connaitre une croissance de l’ordre de 3 % en 2022, encore supérieure à son potentiel grâce notamment aux plans de relance soutenant l’investissement privé et public, et à une demande accrue de consommation de services par les ménages. L’emploi qui a dépassé son niveau d’avant crise covid et un taux de chômage au plus bas historique en zone euro (6,5 %) ont constitué des facteurs de soutien important à la consommation des ménages en 2022. En revanche, le commerce extérieur a contribué très négativement à la croissance, le déficit énergétique de la zone euro s’étant très fortement accru sur l’année et les exportations vers la Chine souffrant du manque de dynamisme de la croissance dans le pays.

L’offensive russe contre l’Ukraine en février 2022, est venue amplifier une crise énergétique qui avait démarrée mi 2021, provoquant une très forte accélération de l’inflation dans la zone euro (+10,0 % sur un an en novembre 2022), un mouvement agressif de normalisation de la politique monétaire de la BCE (+250 pbs sur l’année 2022) et la mise en place de mesures de soutien budgétaire de grande ampleur à destination des ménages et des entreprises (plus de 500 Mds €). Après une relative résistance de la croissance européenne sur les 3 premiers trimestres 2022, les enquêtes de conjoncture se sont sensiblement dégradées en fin d’année 2022, notamment dans les secteurs industriels intensifs en énergie mais aussi dans les services. Il est probable que l’Europe entrera dans une phase de récession modérée fin 2022-début 2023 d’autant plus que le soutien budgétaire apporté en 2022 ne pourra être maintenu à ce niveau en 2023. L’inflation devrait atteindre son pic au 1er trimestre 2023 puis décélérer mais à un rythme lent. Même si l’énergie est le principal contributeur à la forte hausse de l’inflation, plus des 2/3 des composantes de l’inflation sous-jacente étaient encore en hausse en fin d’année 2022, traduisant la diffusion de la hausse des prix énergétiques aux autres secteurs. Dans ses prévisions de décembre 2022, la BCE estimait que l’inflation totale et l’inflation sous-jacente seraient encore supérieures à son objectif de 2 % en 2025 …. L’année 2023 s’annonce compliquée pour l’économie européenne et le rythme de décélération de l’inflation sera clé pour déterminer l’ampleur du resserrement monétaire qui reste à venir et les risques qui pèsent sur la croissance.

L’ASIE EN 2022 A ENCORE ÉTÉ LARGEMENT AFFECTÉE PAR LES EFFETS DE LA PANDÉMIE ET LA GESTION POLITIQUE DE CELLE-CI

Au Japon, la réouverture de l’économie a été très progressive en 2022, et les frontières n’ont été définitivement ouvertes qu’à l’été. Cela explique sans aucun doute un profil de reprise de la croissance bien plus modéré que dans la plupart des grandes économies. Le retour des touristes est un élément de soutien, même si l’absence des touristes chinois ne permet toujours pas le retour à la situation de 2019. La faible dynamique observée en Chine est aussi un élément négatif pour l’industrie japonaise, qui a particulièrement souffert au premier semestre de retards dans les chaines d’approvisionnement, affectant notamment le secteur automobile. Les tensions inflationnistes ont été plus lentes à se matérialiser au Japon, restant sur tout le début de l’année très concentrées dans l’énergie et plus généralement les matières premières, puis l’alimentation. Le maintien d’une politique monétaire ultra accommodante avec un contrôle de la courbe des taux alors que les États-Unis et l’Europe relevaient agressivement leurs taux directeurs s’est traduit par un effondrement du yen, atteignant 150 contre dollar, justifiant une intervention de la BoJ sur le marché des changes. L’affaiblissement du yen est venu renchérir le coût des biens manufacturés et accroitre la pression de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages depuis l’automne, entrainant une baisse de leur confiance et une modération de leur consommation. En revanche, les entreprises semblent jusque-là maintenir leurs programmes de dépenses en investissement, ce qui est un élément favorable pour la croissance de long terme. 2023 pourrait être l’année au Japon d’une certaine normalisation monétaire, même si cette dernière devrait être très limitée, compte tenu de la contrainte pour la BoJ exercée par une dette publique très importante.

La Chine a vécu une année 2022 extrêmement difficile, entre une lutte « quoi qu’il en coûte » contre la pandémie, l’éclatement de la bulle immobilière et une situation diplomatique schizophrénique (avec à la fois la sauvegarde d’une place de leader mondial et « l’amitié » avec la Russie). La politique du 0 covid a empêché toute reprise efficace de l’activité, entravant la production industrielle, la consommation des ménages et contribuant à l’augmentation du chômage, en particulier des jeunes (18 % de la population active). Face au ralentissement sans précédent de la croissance, les autorités ont multiplié les mesures de relance en s’appuyant sur un assouplissement monétaire et des dépenses publiques, afin notamment de relancer l’investissement en infrastructures, mais cela n’a pas permis pas de compenser la chute de la consommation et de l’immobilier et le ralentissement des exportations. La faiblesse des infrastructures sanitaires, le peu d’efficacité des vaccins nationaux, et la faible couverture vaccinale des plus fragiles ont été autant de raisons pour les autorités de maintenir une politique de contrôle particulièrement stricte. Mais le coût social, notamment chez les jeunes et l’effondrement de l’économie ont poussé les autorités à lever début décembre les mesures les plus contraignantes, alors même que le Président Xi, reconduit pour 5 ans à la tête du Parti à l’issue du XXème Congrès du PCC en avait fait une fierté nationale. A court terme, cet assouplissement tardif des restrictions sanitaires ne devrait pas permettre de relancer la consommation… à cause d’une recrudescence des contaminations. La croissance du PIB pour 2022 est attendue inférieure à 3 %, ce qui sera un plus bas historique, exception faite de 2020 (+2,2 %). Le rebond de 2023 devra s’appuyer sur des politiques économiques particulièrement accommodantes, et sur une stabilisation dans l’immobilier. Un soutien à l’emploi et au revenu des ménages serait une solution afin de relancer la demande domestique alors même que l’affaiblissement de la demande mondiale ne permettra pas à la Chine de s’appuyer sur sa dynamique exportatrice traditionnelle. Les incertitudes quant aux prochains arbitrages idéologiques du Parti et de son secrétaire général devront aussi être prises en compte par les investisseurs

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