Mardi 17 avril 2018

Points experts

Le secteur de la distribution : victime de la disruption ?

Le secteur de la distribution est actuellement sous le feu de l’actualité. Nous avons souhaité nous pencher sur les grandes mutations touchant ce secteur au niveau mondial et leurs conséquences sur les sociétés avec Aude Lerivrain, responsable de l’analyse et de la stratégie crédit chez CPR AM.

Le secteur de la distribution vous semble-t-il sous pression en ce moment ?

Oui, les signaux d’alerte s’accumulent depuis plusieurs mois sur le secteur et les résultats 2017 de Carrefour et Auchan, sortis sous les attentes des analystes, en sont une illustration. Les deux groupes de distribution français ont en effet annoncé une baisse de leur EBITDA ainsi que de leur marge EBITDA pour 2017 reflétant une perte de compétitivité par rapport à leurs concurrents qu’ils soient anciens ou nouveaux ! Ils se sont également montrés très prudents sur leurs perspectives 2018 du fait de la concurrence prix qui devrait rester exacerbée et de l’impact des coûts de restructuration pour Carrefour en particulier. Suite à ces annonces, S&P a dégradé les notations d’Auchan de BBB+ à BBB et a changé la perspective sur les notations de Carrefour de stable à négative après avoir revu à la baisse ses anticipations de ratios de crédit pour 2018. Concernant le groupe Casino, c’est la génération de cash flows au 4ème trimestre 2017 qui a inquiété les marchés ainsi que l’annonce de l’arrivée de Leclerc sur le marché parisien via un format click& drive piéton venant ainsi concurrencer Monoprix, la vache à lait du groupe Casino, sur son marché cœur.

Côté US, la dégradation de la situation est encore plus tangible qu’en Europe avec 30 défauts enregistrés en 2017, dont l’emblématique Toys « R » Us, un niveau record pour le secteur ! Et l’année 2018 ne semble pas apporter d’accalmie avec les défauts des distributeurs Bon-Ton’s le 4 février, de Tops Markets le 21 février ainsi que de Claire’s Stores, un important distributeur de bijoux et d’accessoires, le 19 mars. L’agence de notation Moody’s anticipe d’ailleurs un taux de défauts élevé pour le secteur cette année avec un pic attendu en mars à 12.43%.

Le cas Toys « R » Us  est ici très symbolique et  montre que la mutation du secteur est violente et lourde de conséquences même pour des acteurs bien établis. Après s’être placé sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites le 18 septembre dernier, le groupe américain vient d’annoncer la mise en liquidation de ses activités aux Etats-Unis ! Cette décision brutale est la conséquence des très mauvais chiffres de vente réalisés par le groupe pendant les fêtes de fin d’année. Sont concernés 735 magasins de l’enseigne et près de 30,000 employés !

Dans ce contexte, comment se comporte le secteur de la distribution sur le marché du crédit ?

Sans surprise, le secteur de la distribution sous-performe le marché. Aux US sur le segment Investment Grade, il a affiché une performance de -0.37% en 2017 vs. +6.47% pour le segment corporate IG, le segment de la distribution alimentaire étant particulièrement touché avec une performance de -1.87%. En Europe, il a affiché une performance de 1.93% en 2017 vs. 2.95% pour le segment corporate IG, se plaçant ainsi parmi les plus mauvais performeurs avec la chimie et le tabac.

Le marché des Credit Default Swaps montre également cette sous-performance : depuis début 2018, le CDS 5 ans du groupe Casino s’est écarté de 156 à 282 points de base (+126pbs), celui de Carrefour de 54 à 82 points de base (+28pbs) et celui de Tesco de 96 à 130 points de base (+34pbs) pour un indice itraxx qui s’est écarté de 45 à 60 points de base (+15pbs).

Les segments de la distribution sont-ils sous pression indifféremment ?

Les produits standardisés ont été les plus touchés par le développement fulgurant du E-commerce. Le secteur du jouet comme nous l’avons mentionné a été l’un des premiers concernés avec une part du commerce en ligne qui a progressé de 10% à 15% en France entre 2012 et 2017 et a même dépassé les 30% aux Etats-Unis.  Le secteur de l’habillement est également dans une situation difficile comme le démontrent les déboires des groupes Tati et IKKS. Ce secteur est touché par une concurrence très forte sur les prix, une offre devenue pléthorique avec le développement du digital et une obligation de renouvellement fréquent des collections. Afin de se différencier et de fidéliser la clientèle, les marques doivent par conséquent avoir une image forte et claire.

Aujourd’hui, c’est le secteur de la distribution alimentaire qui semble être dans l’œil du cyclone, la gestion des produits frais créant une problématique particulière de gestion des stocks. A contrario, le segment du luxe semble être encore relativement préservé. Le challenge pour les groupes de luxe est de s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation tout en conservant leur image de luxe et leur service client haut de gamme et personnalisé. Les produits de luxe sont des produits moins standardisés ce qui explique la percée plus lente du commerce en ligne mais la digitalisation du luxe va se poursuivre malgré tout sous l’impulsion de la nouvelle clientèle des milleniums.

Quels sont les facteurs disruptifs touchant le secteur ?

L’E-commerce constitue indéniablement le facteur disruptif du secteur et, même si le développement de ce mode de distribution n’est pas nouveau, c’est sa très forte montée en puissance qui change la donne aujourd’hui. L’E-commerce a profondément bouleversé les habitudes de consommation et gagne de fortes parts de marché dans certains pays comme la Corée du sud et la Chine, considérés comme les pays fer de lance du commerce en ligne. D’après une étude réalisée par Kantar Worldpanel, près de 20% des produits de grande consommation étaient achetés en ligne en Corée du Sud en 2017 et 6.2% en Chine. En Europe, seuls deux pays se démarquaient, le Royaume-Uni avec une part de marché du commerce en ligne de 7.5% et la France avec 5.6%. Selon le bureau d’étude, les achats de produits de grande consommation achetés en ligne représenteront une part de marché mondiale de 10% en 2025 vs. 4.6% aujourd’hui !

Mais est-ce suffisant d’être présent dans le E-commerce aujourd’hui et ne faut-il pas déjà envisager l’étape d’après ? La 1ère tendance a été de faire venir les produits à nous, commander en ligne plutôt que de se déplacer en boutique (click&collect, drive, livraisons à domicile), la 2ème sera vraisemblablement de consommer comme on respire ! Nous parlons ici du E-commerce via mobile ou de l’utilisation des outils de domotique (Amazon Dash Button, HomePod d’Apple ou assistant vocal Google Home) qui peinent aujourd’hui à décoller mais qui seront probablement au cœur de nos habitudes de consommation dans les années à venir. Une consommation via le contrôle par la voix pour nos besoins et envies immédiats!

Du point de vue des groupes de distribution, il y a urgence aujourd’hui à avoir une présence online et offline, c’est-à-dire avoir un modèle multicanal pour pouvoir offrir aux consommateurs le meilleur des deux mondes : d’un côté, une offre produits très importante, un accès 24 heures sur 24, des comparatifs prix facilités et des livraisons à domicile pour le commerce online, d’un autre côté, la proximité, les conseils, la visualisation des produits et la détention immédiate pour les magasins de proximité. C’est ce que semblent avoir compris les groupes Amazon et Casino qui viennent d’annoncer une alliance commerciale pour proposer les produits alimentaires de Monoprix aux clients Amazon Prime Now à Paris et dans sa proche banlieue via une boutique virtuelle dédiée. Ce mouvement stratégique de la part d’Amazon était attendu depuis quelques mois et s’inscrit dans cette stratégie multicanal débutée sur son marché domestique avec l’acquisition de Whole Foods Market Inc, un groupe de distribution alimentaire de produits biologiques. Pour Casino, cette opération permettra au groupe de renforcer son statut de leader sur ce marché très rentable qu’est Paris. Le marché de la distribution alimentaire ne progresse pas en volume donc le gain ou tout du moins le maintien des parts de marché est indispensable pour le groupe de distribution français. Mais, qui a le plus besoin de l’autre ? Et qui sortira gagnant de cet accord ? Rappelons que Toys « R » Us avait noué un accord en 2000 avec Amazon, accord qui a été dénoncé en 2004 par Toys « R » Us. La différence notable est toutefois qu’il s’agissait d’un accord exclusif pour la distribution en ligne. Aujourd’hui, Toys « R » Us est en liquidation et Amazon continue à gagner des parts de marché… Les distributeurs traditionnels doivent s’adapter  très vite !

... Retrouvez le document ci-dessous.

Aude Lerivrain

Responsable de l’analyse et de la stratégie crédit

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