Lundi 14 juin 2021

Points experts

Décryptage - L'exercice pilote climatique de l'ACPR : Véritable test de résistance du secteur financier français

La reconnaissance des risques que le changement climatique, la perte de la biodiversité et l’érosion des ressources naturelles font peser sur le système économique et financier a conduit les pouvoirs publics et les acteurs financiers à évoluer dans leur approche du contrôle du risque climat. A ce titre, la France a impulsé un mouvement décisif avec l’adoption le 17 août 2015 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte : l’article 173. En substance, elle enjoint les entreprises, les investisseurs et leurs gestionnaires d’actifs, à publier annuellement les informations sur leur prise en compte des risques liés au changement climatique et des objectifs de transition bas-carbone. La disposition VI de l’article 173 les oblige à rendre compte de la prise en considération des critères dits ESG, en particulier des risques liés au changement climatique, dans leurs décisions d'investissement, ainsi que des moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique. Dans ce cadre, avec toujours en tête l’idée de faire émerger un système financier qui tienne suffisamment compte des enjeux climatiques, s’est ajoutée la disposition V de l’article 173 de cette loi qui demande la remise d’un rapport sur la mise en œuvre de tests de résistance réguliers représentatifs des risques associés au changement climatique. Enfin, l’article 29 de la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat vient compléter l’arsenal législatif en renforçant l’exigence de transparence du reporting en matière ESG ainsi qu’une meilleure intégration des enjeux extra-financiers dans les processus de décision d’investissement et de gestion des risques. L’exercice pilote climatique lancé par l’ACPR s’inscrit dans la continuité de ces travaux.

Les objectifs de l’exercice de stress test

Dans un premier temps, le réseau des banques centrales et les superviseurs avaient abordé le sujet du changement climatique à travers leur rôle de régulateurs du système financier. Ils ont peu à peu étendu leur domaine d’intervention à d’autres sujets liés au climat, comme la prise en compte de la dimension environnementale dans les programmes d’achats d’actifs des banques centrales, le besoin de financement de la transition climatique ou encore le lien entre climat et inflation. Ces sujets sont aujourd’hui au cœur de leur réflexion menée notamment au sein du NGFS (Network for Greening the Financial System), dont l’ACPR est un des membres fondateurs au côté de la banque de France. C’est donc naturellement que cette dernière s’est appuyée sur les scénarios de transition publiés par ce réseau le 24 juin 2020 pour lancer, sur la base du volontariat, cet ambitieux exercice de stress test. Il poursuit un double objectif. D’une part, il doit encourager les banques et assureurs à évaluer les risques et vulnérabilités liés au changement climatique auxquels ils pourraient être exposés, sous différents scénarios et sur un horizon de temps long. D’autre part, il vise à identifier les lacunes actuelles en termes d’outils, d’indicateurs, de données et de ressources (effectifs, besoins de formation, capacités d’analyse, etc.) qui seraient nécessaires pour assurer un suivi et une évaluation pertinente des risques liés au changement climatique pour le secteur financier.

Au préalable s’est bien-sûr posée la question du processus le plus adapté pour mesurer ces risques. Tout l’enjeu pour calculer ces indicateurs provient du besoin de trouver une correspondance entre les scénarios climatiques et les valorisations financières des actifs afin d’être en mesure d’analyser la résilience des portefeuilles aux chocs climatiques. Il est compliqué pour cet exercice de s’appuyer sur des simulations de type Monte-Carlo classiquement utilisées en finance car ce sont justement des scénarios qui n’ont pas été explorés dans le passé et on ne peut donc pas se baser sur des données historiques.

Ainsi, plutôt qu’une approche traditionnelle utilisant des indicateurs quantitatifs basés sur des séries passées, il est plus pertinent d’utiliser des méthodes de stress tests climat utilisant des scénarios historiques et théoriques.  A noter que le terme VaR climat est parfois utilisé pour quantifier la variation de valeur d’un portefeuille causée par l’aléa climatique, mais le parallèle avec la VaR financière d’un portefeuille peut selon nous prêter à confusion, car les scénarios climatiques ne sont pas nécessairement des scénarios de risque extrême, et ils sont peu définissables de manière probabiliste.

La définition des scénarios climatiques, un élément clé de cet exercice

Les scénarios climatiques ont des enjeux spécifiques : horizon de temps potentiellement très long, granularité fine pour tenir compte des nombreuses spécificités internationales et sectorielles, incertitude radicale et amplitude extrême des risques, interdépendance des risques physiques et de transition. L’ACPR a décidé de retenir trois scénarios de risque de transition et un scénario de risque physique qui reposent sur les travaux du NGFS et sur un cadre analytique déterminé à partir de Allen. Le premier scénario dit de « transition ordonnée » (scénario de référence) est proche de la stratégie nationale « bas carbone » visant à des émissions nettes nulles d’ici à 2050. A ce scénario central s’ajoutent deux variantes, d’une part une « transition accélérée » et d’autre part une « transition retardée ». Elles ont pour objectif de mesurer les impacts de deux stratégies divergentes par rapport au scénario de référence. Dans le scénario de transition retardée(variante 1) : celle-ci est tardive et conduit à une réévaluation forte du prix du carbone en 2030 pour maintenir l’objectif de neutralité carbone en 2050 entrainant notamment une hausse des prix réels de l’énergie de plus de 125 %. Dans le scénario de transition accélérée (variante 2) on observe une réaction anticipée et brutale correspondant à l’association d’une hypothèse de révision du prix du carbone à un choc de productivité à partir de 2025.

Le scénario de risque physique repose quant à lui sur la base du scénario « RCP 8.5 » du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce qui correspond à une hypothèse de hausse des températures comprise entre 1,4°C et 2,6°C à la fin du siècle.

Ces scénarios sont déclinés en prévisions sur les variables macro-économiques et financières, avec une granularité fine en terme de zones géographiques, de secteurs d’activité et de classes d’actifs. Toutes ces données permettent d’estimer l’impact de ces scénarios sur le bilan des banques et des assurances. A noter cependant que tous les risques ne sont pas encore incorporés dans ces scénarios, notamment le risque propre à une entreprise qui peut conduire à sa faillite ou le risque de diffusion. Ces derniers peuvent renforcer les impacts, par exemple, le choc physique peut se transmettre sur les crédits immobiliers et se transmettre dans la titrisation.

D’autres hypothèses particulièrement innovantes : l’horizon de temps et les bilans

Tout d’abord, l’horizon de temps, on se place sur une durée de trente ans couvrant la période 2020-2050. Celle-ci est indispensable pour intégrer les effets du changement climatique, mais sa longueur est inhabituelle pour des stress tests (habituellement 3 à 5 ans), ce qui a obligé les groupes bancaires et assureurs participant à l’exercice à adapter leurs méthodes de quantification des risques. L’autre grande nouveauté de l’exercice est de combiner deux hypothèses : une hypothèse de bilan statique jusqu’en 2025, cadre traditionnel des exercices de tests de résistance prudentiels, et une hypothèse de bilan dynamique, de 2025 à 2050 afin d’analyser les stratégies des institutions financières et les actions mises en œuvre pour atténuer les effets du changement climatique ; cette hypothèse vise également à analyser la cohérence des stratégies mises en œuvre par ces institutions et leurs engagements climatiques.

Concernant les autres hypothèses, on peut noter que c’est un exercice bottom-up visant notamment à analyser les interactions entre les deux secteurs, en particulier l’impact de la couverture d’assurance sur les paramètres de risque des banques.

L’approche choisie est multizone géographique (France, reste de l’Europe, Etats-Unis, reste du monde), ce afin de prendre en compte le caractère global du changement climatique et ses effets différenciés dans les diverses parties du globe. Elle est également multisectorielle avec une granularité assez fine puisque cinquante-cinq secteurs d’activité ont été choisis pour saisir les effets très contrastés des politiques de transition entre ces derniers...

Retrouvez ci-dessous le décryptage dans son intégralité.

Johann Achard

Ingénieur financier

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