Vendredi 10 septembre 2021

Points experts

Petit Déjeuner Investisseurs : Une amélioration conjoncturelle aux Etats-Unis, qui ne se reflète pas dans le niveau des taux longs

Par Laetitia Baldeschi, Responsable des Etudes et de la Stratégie, et Bastien Drut, Responsable de la Macro Stratégie Thématique

La baisse des taux longs américains constitue la principale surprise du trimestre écoulé ! En effet, les chiffres économiques concourent à confirmer la reprise de l’économie américaine, ce qui, historiquement aurait dû conduire à un mouvement de hausse de taux d’intérêt, or c’est plutôt l’inverse qui a été observé sur les marchés. Comment expliquer ce mouvement ? Plusieurs facteurs peuvent être mis en avant.

Sur la période de mars à juillet, le Trésor américain a « liquidé » son compte à la Fed, ce qui s’est traduit par un fort accroissement des liquidités excédentaires. A cela, il convient d’ajouter un ton plus accommodant de la Réserve fédérale lors de son comité de politique monétaire de mars et l’absence de décisions concrètes en matière de soutien budgétaire, après l’annonce en mars/avril par Joe Biden de ses plans d’infrastructures American Jobs Plan et American Families Plan. Ces facteurs pourraient s’inverser à partir de septembre. Le Trésor a indiqué sa volonté de réapprovisionner son compte à la Fed, ce qui correspondrait toutes choses égales par ailleurs à un retrait de liquidités. La Fed devrait commencer son tapering (c’est-à-dire une réduction graduelle de ses achats de titres) d’ici la fin de l’année. Le Congrès devrait voter une enveloppe budgétaire conséquente en faveur des infrastructures physiques d’ici le 27 septembre dans le cadre d’un plan bipartisan (1200 Mds $ dont 550 Mds de nouveaux financements sur 5 ans) puis un projet de réconciliation budgétaire, d’une taille de 3500 Mds $ sur 10 ans. Tout cela devrait contribuer à une légère remontée des taux longs dans les prochaines semaines. Cela pourrait être ponctuellement parasité par les discussions sur le relèvement du plafond de la dette : une fermeture partielle des administrations fédérales (shutdown) pourrait intervenir à partir du 1er octobre en l’absence d’accord.

Il convient de souligner que les plans d’investissement en infrastructures revêtent une importance stratégique en matière de lutte contre le réchauffement climatique. En effet, l’administration Biden a affiché des objectifs ambitieux : neutralité carbone en 2050 et baisse des émissions de gaz à effet de serre de 50% à 52 % à horizon 2030 par rapport à 2005. Toutefois, les quelques « executive orders » d’ores et déjà promulgués par Biden, notamment sur les véhicules électriques, ne suffiront pas et le passage des plans conditionne le succès de la politique climatique.  

Où en est la reprise américaine ?

Tout d’abord, cette reprise économique est plus forte que celle observée dans les autres pays développés, notamment car elle a bénéficié de politiques économiques particulièrement puissantes. Le PIB, déjà revenu à son niveau d’avant-crise, est en passe de rejoindre sa tendance d’avant-crise. Toutefois, la dynamique économique dépend toujours de la situation sanitaire, compte tenu d’un niveau de vaccination encore globalement insuffisant, et le tassement observé à l’été avec la propagation du variant delta en est une illustration (même si l’impact économique est nettement moins marqué que lors des vagues précédentes). L’une des mesures du rythme de redémarrage de l’économie américaine est le redressement du marché de l’emploi. Les créations d’emploi sont rapides, avec une moyenne mensuelle de 653 000 au cours des six derniers mois. Les pénuries de main d’œuvre sont pourtant patentes, puisqu’il y a désormais nettement plus d’offres d’emploi que de chômeurs. En conséquence, des pressions salariales sont apparues et le salaire horaire moyen a dernièrement progressé sur un rythme annualisé de 5 à 6%. La consommation des ménages a été l’un des piliers de la croissance sur les derniers mois, mais des divergences sont toujours perceptibles. Ainsi, la consommation des services a progressé plus lentement et plus tardivement, mais a semblé résister en juillet à la hausse des nouvelles contaminations. En revanche, la consommation de biens durables qui a atteint des niveaux exceptionnellement élevés (environ 30% au-dessus des niveaux d’avant-crise) grâce aux mesures de soutien budgétaire se contracte légèrement. Par ailleurs, les prix de l’immobilier et des voitures constituent un élément d’inquiétude : sur ces deux marchés, les prix accélèrent fortement, l’offre n’arrivant pas à suivre la forte demande. Ainsi, les ventes de voitures sont en nette baisse car les producteurs n’arrivent pas à s’approvisionner en semi-conducteurs et les ventes de logements ralentissent faute de biens disponibles à la vente.

L’inflation accélère, mais c’est un phénomène jugé transitoire par la Fed

L’inflation se trouve sur des niveaux inhabituellement élevés aux Etats-Unis : l’inflation totale (CPI) était de 5,3% en juillet et l’inflation sous-jacente (core CPI) de 4,2% en glissement annuel. Il est particulièrement important de souligner que l’essentiel de la variabilité des indices d’inflation provient du prix des voitures d’occasion, qui semble toutefois avoir atteint un pic. De leur côté, les loyers, représentant une part importante du panier de dépenses des ménages, devraient se mettre à contribuer à la hausse plus nettement dans les prochains mois. Dans ce contexte, et alors que les créations d’emplois ont été rapides, la Fed se trouve à la veille de commencer à réduire son soutien à l’économie. Elle devrait annoncer son tapering  dans les 3 prochains mois, probablement en novembre, même si elle continue de considérer l’inflation comme transitoire.

Quelle dynamique pour la zone euro ?

Depuis plusieurs mois, la dynamique de reprise de l’économie de la zone euro ne s’est pas démentie.  Les enquêtes de conjoncture restent assez bien orientées, avec la résilience de l’activité manufacturière, même si les contraintes de production (côté approvisionnements, entravés par les pénuries d’intrants et les mesures de restriction d’activité, et côté pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs), freinent le rythme de la reprise. Au total le PIB se retrouve à la fin du 2ème trimestre 2021, 2,5% en dessous du niveau d’avant crise. Toutefois de grandes disparités sont observées au sein de la zone euro, qui découlent des différences de structures des économies européennes, notamment du poids relatif des services et de la nature de ces services. En effet, le secteur des services a redémarré bien après l’industrie, plus dépendant des interactions sociales. Cette réouverture est encore loin d’être complète mais les enquêtes en la matière sont plutôt rassurantes, l’optimisme revenant en grande partie avec l’avancée de la campagne de vaccination. La Commission européenne dans ses dernières prévisions (juillet 2021) met l’accent sur ce secteur du tourisme. Il est resté très affecté par la crise jusqu’au printemps mais semble redémarrer au vu des indicateurs disponibles (réservations hôtelières, AirBnB, trafic aérien…). Bien évidemment, les pays de la zone dépendant le plus du trafic aérien pour le développement de leurs activités touristiques affichent un certain retard dans le redémarrage. L’autre élément de faiblesse est la dépendance au tourisme citadin qui représente environ 60% des visites dans l’Union européenne. Après avoir été en baisse d'environ 80 % en 2020, le tourisme urbain est resté sur les mêmes niveaux au cours des cinq premiers mois de 2021.

 Le marché du travail tend également à se normaliser en zone euro. L’emploi a progressé de 1,8% au 2ème trimestre par rapport au 1er trimestre 2021 et les heures travaillées de 2,7%. Bien évidemment, le niveau d’avant crise n’a pas encore été retrouvé ! Il manque encore 2,1 millions d’emplois dans la zone euro. Toutefois, le taux de chômage décroît un peu partout. Ceci permet aux Etats de diminuer voir de supprimer les mesures de soutien au marché de l’emploi. Mais cette amélioration de l’emploi ne suffit pas à soutenir la confiance des ménages. Celle-ci reste particulièrement sensible à l’évolution de la situation sanitaire et, la remontée des contaminations dans plusieurs pays européens, pèse sur la confiance. L’autre élément de défiance est la hausse des prix ressentie par les ménages. L’inflation totale accélère nettement en août 2021, atteignant 3,0% après 2,2% en juillet, un plus haut depuis 2011 ! Toutes les composantes participent à la hausse sur le mois avec notamment une forte accélération des prix des biens industriels hors énergie. Cela conduit à une nette accélération de l’inflation sous-jacente qui atteint 1,6% au plus haut depuis 2012. Cette hausse est quasi-générale dans la zone euro avec une inflation qui accélère dans 17 des 19 pays. Plusieurs facteurs comme la réouverture, les baisses de TVA en 2020, les changements de poids dans les indices d’inflation, la hausse de la taxe carbone et des prix de l’électricité dans plusieurs pays de la zone vont maintenir une inflation élevée jusqu’à la fin de l’année.

L’Europe veut être le premier continent 0 carbone et s’en donne les moyens.

Un tiers des 1 800 milliards d’euros d’investissements du budget septennal de l’UE financeront le pacte vert pour l’Europe. A cela il faut ajouter 37 % du plan de relance NextGenerationEU ! La Commission a proposé le 14 juillet dernier un ensemble de mesures pour mettre l’Europe en ligne avec la réduction de 55% des émissions de CO2 en 2030 et la neutralité carbone à horizon 2050, qui sont inscrites dans la Loi européenne sur le climat. Les principales annonces retiennent les niveaux les plus ambitieux évoqués dans les discussions préalables. Elles incluent l’augmentation de la part des énergies renouvelables à 40% du mix énergétique en 2030, l’amélioration de 9% de l’efficacité énergétique mais aussi l’adaptation de la fiscalité européenne. L’Union Européenne peut s’enorgueillir d’avoir le premier système mondial d'échange de quotas d'émission. Elle s’attache maintenant à le renforcer en prévoyant une baisse des quotas carbone et des normes plus strictes. Mais cette transition énergétique passera nécessairement par un renchérissement du prix du carbone, que l’on observe d’ores et déjà. Pour renforcer son action en matière d’environnement, la Commission européenne vient d’adopter un ensemble de règles pour les Green Bonds qu’elle va émettre dans le cadre du financement du plan de relance européen, soit 30% des fonds ou 250 Mds €. Elle procédera d’ailleurs à sa première émission de Green Bonds dès le mois d’octobre.

Quid de la politique de la BCE dans ce nouvel environnement ?

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a été positivement surpris par la dynamique de reprise de l’économie, ce qui l’a poussé à décider en septembre d’une baisse « modérée » du rythme d’achats de titres au T4. Il note que les risques pesant sur l'économie sont équilibrés, avec la possibilité d'un côté que les consommateurs soient plus optimistes et épargnent moins que prévu, et de l'autre la possibilité que les goulets d'étranglement et qu'une détérioration sur le front sanitaire pèsent sur la reprise. Rappelons que la BCE conduit actuellement deux programmes d'achats de titres : l'APP, son programme " classique " de Quantitative Easing destiné à lutter contre l'inflation basse, et le PEPP, un programme " exceptionnel " mis en place pour lutter contre l'impact négatif de la pandémie sur l'économie. Sur les 2ème et 3ème trimestres de cette année, les achats mensuels liés au PEPP tournaient autour de 80 Mds € en moyenne, contre environ 60 Mds en début d'année. On peut désormais anticiper un retour aux niveaux de début d'année, aux alentours de 60 Mds € par mois.

Mais les grandes décisions sur l'avenir des achats d'actifs seront prises au Conseil des gouverneurs de décembre. Si le programme PEPP est censé s'arrêter en mars 2022, Christine Lagarde a bien rappelé que « le travail ne sera pas terminé » à cette date… et que le Conseil des gouverneurs reviendra alors à ces préoccupations d'avant-crise, c'est-à-dire les perspectives d'inflation basse à moyen terme. Le chef économiste Philip Lane a indiqué il y a quelques jours que le programme APP (d'un rythme de 20 Mds € d'achats mensuels depuis la fin du mandat de Mario Draghi) allait être re-calibré en fonction des perspectives d'inflation, des émissions nettes de titres et de la demande des investisseurs. Une augmentation du rythme de l'APP pourrait ainsi permettre une diminution des achats totaux (c'est-à-dire APP+PEPP) très progressive. Avec la fin du PEPP, il est dès lors concevable que la BCE continue à acheter des titres pendant très longtemps (l'APP n'a pas de date de fin), à un rythme significativement plus élevé qu'avant la crise (50 Mds € d'achats mensuels ?). 

L’évolution de la situation sanitaire reste un élément clé

La campagne de vaccination a avancé très rapidement dans la plupart des grands pays développés, mais un tassement du rythme de vaccination s’observe depuis le début de l’été, qui ne permet pas d’atteindre l’immunité collective dans ces pays. Surtout, les pays émergents n’ont pas pu bénéficier aussi rapidement des doses de vaccins même si un rattrapage progressif s’observe depuis quelques mois. De plus dans certains pays, notamment en Asie, une autre option avait été privilégiée, celle de la politique du « 0 Covid », qui a, dans un premier temps, rendu moins évident la nécessité d’accélérer la vaccination contre un virus qui ne circulait que très peu. La propagation du variant delta a changé la donne, rendant la politique du 0 Covid ingérable dans le temps. L’exemple du Vietnam est à ce titre très révélateur.

L’ensemble de la zone Asie est confronté à la résurgence de l’épidémie. Cela se traduit par des fermetures de centres de production, d’infrastructures de stockage et de transit qui affectent l’ensemble des chaines d’approvisionnement déjà particulièrement tendues. La plupart des enquêtes d’activité, notamment dans l’industrie manufacturière de la zone asiatique se sont retournées à l’été et signalent fin août une contraction de l’activité.

La Chine n’est évidemment pas épargnée et les dernières enquêtes soulignent un certain tassement de l’activité sur le 3ème trimestre. Pour expliquer cette tendance, la faiblesse de l’offre d’une part mais aussi celle de la demande sont mises en avant. Bien évidemment, le climat politique en Chine peut également justifier un peu d’inquiétude du côté des chefs d’entreprises.

La Chine fait sa « profonde révolution »

Sans aucun doute, il convient de rester extrêmement prudent sur l’interprétation des derniers évènements. Rappelons-nous toutefois que les « Deux Sessions » en mars dernier avaient validé un objectif de croissance, jugé, à l’époque, peu ambitieux puisqu’il indiquait une hausse du PIB supérieure à 6%. Dans la lumière du recentrage politique des autorités chinoises, il apparait aujourd’hui comme une évidence ! L’heure n’est plus à la quantité mais à la qualité… Peu importe aujourd’hui le rythme de croissance sur l’année, ce qui est important c’est que cette croissance profite à tous. Il est clair que la crise sanitaire a joué un rôle de révélateur d’une situation sociale particulièrement inégalitaire. Il convient donc aux yeux des autorités, et très vraisemblablement dans une optique de maintien de la stabilité sociale et donc de survie du Parti communiste chinois, de chercher à améliorer le niveau de vie général. L’examen du panier de la ménagère dégage très clairement les grands axes d’amélioration visés par l’exécutif chinois. En effet, le coût prohibitif de l’éducation privée, le logement ou les frais de santé sont autant de gouffres financiers pour les ménages chinois. Ces mêmes dépenses avaient été avancées dans l’explication il y a quelques mois de la faiblesse de la natalité alors même que les contraintes règlementaires en la matière avaient été levées. A la lumière de ce constat, les secteurs socialement importants dans lesquels des entreprises privées existent sont sous le joug de nouvelles mesures de réglementation ; après l’éducation, les jeux en ligne, et les plateformes internet, les secteurs de la santé ou de l’immobilier devraient être au centre de l’attention. Cette reprise en main politique, repose sur un retour de l’idéologie qui vise à réduire les « excès du capitalisme » selon les propos du Président Xi. Ce virage politique pourrait perdurer au cours des prochains mois, au moins jusqu’au XXème Congrès du Parti de l’automne 2022 et être pris en compte de manière structurelle dans toute décision d’investissement.

En conclusion, les économies des grands pays développés se redressent grâce à l’avancée des politiques de vaccination et aux politiques de soutien des Etats et des banques centrales. La normalisation économique s’accompagne d’une remontée de l’inflation jusque-là transitoire un peu partout dans le monde, liée à la réouverture et en grande partie conséquence de la saturation des capacités de production. A l’approche de la COP 26, les annonces sur l’environnement prennent de plus en plus de place dans les politiques publiques, représentant une part importante des différents plans de relance. L’heure d’un allègement des mesures de soutien approche. La communication des banques centrales s’adapte progressivement afin de préparer les marchés. En revanche, les pays émergents sont dans une situation plus délicate confrontés à la persistance de la question sanitaire, au durcissement monétaire rapide lié à la hausse de l’inflation, aux soutiens budgétaires de moindre ampleur et pour finir au retour de l’idéologie politique au détriment du pragmatisme économique en Chine. Les deux principaux risques dans les prochains mois reposent d’abord sur l’évolution de la situation sanitaire et d’autre part sur la persistance d’une inflation soutenue qui entrainerait une réaction plus abrupte de la Réserve fédérale.

Publié le 10 septembre 2021

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